Téléchargez la version PDF
Comme tout internaute, les chercheurs laissent au cours de leurs navigations des traces sur le réseau. Ces traces (nom, prénom, pseudos, adresse IP, cookies, vidéos, articles, commentaires de forums, coordonnées) constituent ce que l'on appelle communément l'identité numérique. La spécificité de cette identité numérique est d'être inévitable, quoique l'on fasse nous disséminons nos "empreintes digitales" un peu partout sur la toile. Ainsi, puisque la chose s'impose à nous, autant faire de la contrainte une opportunité pour maîtriser ce qui peut l'être et mettre en avant ses points forts. L'enjeu pour le chercheur est donc de mettre l'économie du web social à son service pour propulser ses productions scientifiques dans les flux de circulation de l'information scientifique et technique et ainsi valoriser ses activités de recherche.
Générer de l'audience par les réseaux sociaux, la preuve par les chiffres
Cette deuxième session a démarré sur une rapide comparaison de deux revues qui partagent plusieurs similitudes, de par la jeunesse de leur version en ligne, leur faible notoriété et le fait d'être hébergées sur la plateforme Revues.org. La première, la Nouvelle Revue du Travail (NRT), a mis en place une stratégie de visibilité numérique en développant sa présence sur les réseaux sociaux. La seconde, la revue Comptabilités, constitue le penchant inverse avec un investissement numérique qui, mise à part la mise en ligne de la revue, est proche de l'inexistant. Le contraste entre les taux de consultation1 de ces deux revues devrait convaincre les plus récalcitrants de l'utilité des médias sociaux pour la valorisation du travail du chercheur.
NRT conjugue un compte sur Twitter qui fédère plus de 600 abonnés avec une page Facebook embryonnaire créée il y a un an seulement. Cette association lui permet de drainer une audience beaucoup plus conséquente que la revue Comptabilités. Laissons les chiffres parler. NRT décompte plus de 12 000 visites par mois avec une moyenne de 7 000 visiteurs différents. En comparaison, Comptabilités ne rassemble que 1 400 visiteurs mensuellement. De même, si l'on exclue les internautes qui arrivent sur la revue depuis un moteur de recherche comme Google, les blogs, les carnets de recherches (hébergés sur Hypothèses.org) et les réseaux sociaux sont parmi les principales sources de trafic de NRT. A l'inverse, aucun réseau social ne génère d'audience pour Comptabilités.
Twitter et Facebook, les inévitables
En tant que chercheur, vouloir maîtriser une partie de son identité numérique est une bonne décision mais encore faut-il savoir quels outils choisir et de quelle manière. La première étape à suivre selon Nicolas de Lavergne est d'investir les réseaux sociaux généralistes que sont Twitter et Facebook.
Twitter est un site de microblogging qui permet d'échanger de courts messages limités à 140 caractères. L'intérêt de ce réseau social est de permettre un usage beaucoup plus professionnel que d'autres outils du même genre, comme Facebook par exemple. De plus en plus répandu au sein de la communauté scientifique, Twitter est un outil idéal pour diffuser de l'information rapidement et potentiellement à large échelle. Facile d'utilisation, il permet un accès libre à ses contenus ; en d'autres termes, l'internaute n'est pas obligé de disposer d'un compte pour consulter ce qui n'est pas le cas sur Facebook. Les potentialités professionnelles de Twitter pour le chercheur sont nombreuses, allant de la simple diffusion-promotion de contenus à la discussion entre pairs, en passant par la veille informationnelle. Cette dernière pratique, particulièrement répandue au sein de la communauté scientifique, est rendue possible par un système de listes qui permet de catégoriser des comptes à suivre selon une thématique spécifique. Ainsi, le chercheur optimise sa veille personnelle mais offre en plus un service à la communauté en permettant aux autres twittos (les membres du réseau) de s'abonner à cette liste préconçue. C'est ainsi l'une des grandes forces de Twitter que d'offrir la possibilité de suivre l'actualité d'un sujet, d'un domaine ou d'une discipline.
Un des autres atouts de Twitter réside dans la nature virale du tweet dont la propagation en termes de distance et de vitesse est sans commune mesure. Le fait de rediffuser (on dit aussi "retweeter") un message à ses abonnés qui à leur tour le rediffuseront à leurs abonnés et ainsi de suite offre au chercheur une très large audience potentielle. La pratique du réseautage est décuplée, Twitter permet d'internationaliser et de décloisonner son réseau professionnel hors des frontières territoriales et disciplinaires, amenant de nouvelles collaborations. Un conseil de Nicolas de Lavergne pour élargir son audience et gagner de nouveaux abonnés est de retweeté des personnes qui ne vous connaissent pas mais que vous êtes susceptible d'intéresser. En effet, l'une des bonnes pratiques sur Twitter est de s'abonner aux comptes des personnes qui participent à la diffusion de vos messages dans une logique donnant-donnant.
Certains commentateurs font de la brièveté des messages un défaut, arguant qu'il est difficile d'exprimer une idée claire en si peu de mots, et que l'écriture sur ce type de support relève plus du slogan publicitaire que du développement scientifique. Pourtant, la rapidité qui caractérise la lecture et l'écriture d'un tweet a plutôt tendance à inciter à la discussion et tout chercheur se doit en théorie de compter parmi ses qualités le sens de la synthèse.
Facebook est un autre réseau social capable de servir les intérêts du chercheur. Même si son potentiel professionnel est beaucoup moins étendu de par sa tendance à mélanger les genres (sphères privée et professionnelle), Facebook est un allié indispensable pour s'assurer une visibilité numérique. Cependant, il s'avère très compliqué d'y construire un véritable réseau, une communauté autour de soi parce que l'engagement y est plus fort. En insérant les concepts d'amitié, d'affection et de goût personnel au sein de son écologie de la recommandation, Facebook semble s'éloigner de l'objectivité et de la rigueur qui font les fondements de la recherche scientifique. Cependant, cet outil n'est pas à négliger car son association avec Twitter permet au chercheur de pouvoir toucher un public toujours plus large et diversifié. Nicolas de Lavergne donnait l'exemple de la revue Terrain qui valorise son fonds documentaire d'une très grande richesse en utilisant une stratégie de communication relativement basique. Chaque semaine, la revue propose un ou deux billets en lien avec l'actualité, ressort pour l'occasion d'anciens articles sur ce sujet et poste quelques liens sur ces comptes Twitter et Facebook. Si la méthode semble un peu simpliste, elle est redoutablement efficace, propulsant la revue parmi les 25 plus consultées de la plateforme Revues.org.
Réseaux sociaux scientifiques : attention, prudence
Depuis quelques années se développent de nouveaux réseaux sociaux spécialement dédiés aux chercheurs. Trois d'entre eux dominent le marché, Academia.edu, ResearchGate et MyScienceWork. Cependant, plusieurs raisons invitent à se méfier de ce type de plateformes. Tout d'abord, un problème se pose quant aux politiques de protection, de conservation et de propriété des données déposées sur les serveurs de ces compagnies. Pour citer Christophe Benech, voici la liste (édifiante) des droits concédés à Academia.edu :
« Vous leur accordez donc une licence mondiale, irrévocable, perpétuelle, non exclusive, transférable et sans « royalties » avec le droit de donner licence, utiliser, voir, copier, adapter, modifier, distribuer, autoriser, vendre, transférer, diffuser publiquement, utiliser à des fins publicitaires, transmettre, ce que vous mettrez sur votre profil. Vous êtes par contre responsable de ce que vous mettez en ligne et Academia ne peut avoir à répondre de ce que vous auriez diffusé sans bénéficier de toutes les autorisations nécessaires. »
La pérennité des données est un autre aspect problématique lié au modèle économique adopté par ces plateformes, financées sur des fonds privées et comptant dans leur capital de grands noms de l'industrie du numérique comme Bill Gates ou Facebook dans le cas de ResearchGate. La prudence s'impose car ces entreprises n'investissent pas à perte et de nombreuses interrogations subsistent quant à l'utilisation des données, comment ces compagnies assurent-elles leur rentabilité ? Comment créent-elles de la valeur sur nos données ? Et surtout, qu'adviendra-t-il des données si ces réseaux sociaux font faillite ? Pour avoir une vision globale de la question, Nicolas de Lavergne recommande la lecture de deux billets de blogs, Les réseaux sociaux scientifiques, la visibilité et l'open access d'Eric Verdeil et Les réseaux sociaux pour chercheurs : une illusion ? de Frédéric Clavert.
Face au philanthropisme de façade, mieux vaut privilégier un acteur institutionnel comme HAL pour mettre à disposition de la communauté scientifique ses publications. HAL-SHS est une archive ouverte dédiée aux sciences humaines et sociales, c'est-à-dire un entrepôt de publications scientifiques (articles, thèses, compte-rendu de lectures, pré-publications,...), qui agit en faveur du libre-accès et qui fait de la gratuité, de la pérennité et de l'interopérabilité des données ses principales préoccupations. La garantie est un accès universel et sans conditions aux données de la recherche. Cependant, il serait dommage de ne pas profiter de l'audience qu'offrent les réseaux sociaux. Ainsi, il vaut mieux jouer la carte du pragmatisme et de l'opportunisme en jouant des complémentarités entre HAL-SHS comme le préconise Françoise Acquier. Le chercheur doit conjuguer les atouts de chacun, pérennité et sécurité pour l'un et forte visibilité pour l'autre, afin d'optimiser sa stratégie de valorisation numérique.
Le chercheur et la curation
Les outils de curation permettent aux chercheurs de rassembler sur une seule page des contenus liés à une thématique spécifique issus des confins du web. Le chercheur sélectionne, "nettoie", indexe, conserve et diffuse ses contenus auprès de la communauté. Ceci permet d'extraire de la masse des billets de blogs, des articles de revue ou encore des podcasts provenant de sources multiples. Grâce à des plateformes comme Scoop.it ou Storify, le chercheur gère un flux d'informations qu'il met à disposition de la communauté.
L'épouvantail de la chronophagie
L'une des grandes peurs exprimées par les chercheurs au cours de cet atelier a été la crainte d'être piégé dans un cercle vicieux où l'on passe plus de temps à rédiger des billets de blogs, répondre aux sollicitations sur Twitter et Facebook et gérer la liste de ses publications sur Academia.edu qu'à faire son véritable travail de recherche. En premier lieu, il faut rappeler qu'écrire un blog ou tenir un compte Twitter n'est pas une contrainte. Si l'envie n'y est pas, rien n'oblige le chercheur à continuer. Les contraintes du métier sont déjà assez nombreuses (le diktat du "publish or perish" et autres deadlines), il est inutile d'en rajouter. Ensuite, si le risque de dispersion entre toutes ces plateformes est réel, il existe des outils qui permettent de centraliser et nourrir les comptes de plusieurs réseaux sociaux depuis un seul et même endroit. Nicolas de Lavergne conseillait des plateformes comme Twitterfeed ou Hootsuite. Enfin, dans la tradition des "système D" caractéristique du web, il existe un site web, Ifttt, qui propose de nombreuses "recettes" afin de faire "travailler l'internet pour vous" en automatisant les procédures de transfert entre réseaux sociaux. Ainsi, il existe de nombreux moyens pour économiser du temps et relier entre elles toutes les plateformes utilisées par les chercheurs.
Cependant, il est encore aujourd'hui peu aisé de convaincre les chercheurs des avantages de ce type d'outils, qui affichent une franche réticence envers les outils numériques et du web 2.0 en particulier. Nicolas de Lavergne pointe du doigt du doigt ce problème culturel profondément ancré et souligne la nécessité de communiquer, d'accompagner les chercheurs et de démystifier le numérique.
En conclusion de cette après-midi, Élodie Faath nous a présenté le projet Écho, un outil de détection automatique de compte-rendu de lectures. À dessein, il devrait permettre de lier un compte-rendu avec l'ouvrage dont il parle et inversement relier les ebooks hébergés sur la plateforme OpenEdition Books aux compte-rendu disponibles sur le web. Le tout en déterminant de manière automatique si le compte-rendu donne un avis négatif, neutre ou positif.
[1] Toutes les statistiques de consultation des revues, ebooks et carnets de recherches d'OpenEdition sont disponibles ici.
Auteur : Lucas Noyelle
DHnord2014. Humanités numériques : des outils, des méthodes, une culture.
Retrouvez d'autres contenus sur le site du colloque : http://dhnord2014.meshs.fr
Nicolas de Lavergne est responsable communication et innovation numériques au sein de la Fondation Maison des sciences de l'homme depuis 2010, il contribue à la stratégie numérique globale de l'institution, en gérant le site Internet, en coordonnant et animant la présence sur le web des différents services et programmes de la Fondation (sites, carnets de recherche, réseaux sociaux, revues en ligne, archives ouvertes...). Il est chargé de l'édition de la collection de Working papers de la FMSH (hébergés sur halshs, diffusés via wpfmsh.hypotheses.org et autres). Il anime le site ifre.fr, portail commun de valorisation des 27 instituts français de recherche à l'étranger et accompagne lesdits instituts dans leur stratégie numérique (sites Internets, réseaux sociaux, édition électronique, archives ouvertes...).
Elodie Faath officie au sein d'OpenEdition Lab, chargée de la coordination des projets "Text-mining". L'OpenEdition Lab est un programme de recherche et développement lancé en 2011 dont l'objectif est d'exploiter au mieux les potentialités du numérique en créant de nouvelles fonctionnalités de lecture, d'écriture, de navigation et de recommandation destinées à s'introduire dans les offres d'OpenEdition. Élodie Faatth a effectué un doctorat en sciences de l'information et de la communication sur les nouvelles circulations de l'information scientifique sur le web et sur son évaluation. Depuis 2011, elle travaille sur le projet Bilbo, un outil d'annotation automatique des références bibliographiques aujourd'hui opérationnel.
Gabriel Galvez-Behar, ancien élève de l'École Normale Supérieure (ENS) de Cachan et de l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS), est maître de conférences en histoire à l'Université Lille 3, membre du laboratoire IRHiS et membre junior de l'Institut universitaire de France. Ancien directeur de la Maison européenne des sciences de l'homme et de la société (MESHS) de Lille, ses travaux portent sur l'innovation et la propriété intellectuelle aux XIXe et XXe siècles, la propriété scientifique en Europe de 1870 à 1940. Il est agrégé et doctorant grâce à sa thèse "Pour la fortune et pour la gloire". Inventeurs, propriété industrielle et organisation de l'invention en France, 1870-1922", soutenue en 2004. Gabriel Galvez-Behar est membre du comité éditorial de la revue Le Mouvement social (depuis 2005) dont il a été le secrétaire de rédaction.
Lucas Noyelle est étudiant en Master 1 en sciences de l'information et du document à l'université Lille 3, il effectue son stage de fin d'année au sein de la MESHS, en tant que chargé de la documentation et de la restitution du colloque DHnord2014. À ce titre, il a participé aux deux sessions de l'atelier "Passer au numérique" pour lesquels il a rédigé des comptes rendus.
› Cellard Loup, « Sommes-nous tous devenus des nerdy-navigators ? », Blog, Introduction aux humanités numériques, 22 octobre 2013. Consulté le 5 mai 2014. <http://archinfo41.hypotheses.org/233>
› Dacos Marin, « Un angle mort ? Les infrastructures pour les SHS en général et pour les carnets de recherche en particulier », Blog, Blogo Numericus, 27 octobre 2013. Consulté le 5 mai 2014. <http://blog.homo-numericus.net/article11261.html>
› Gouzi Françoise, Valoriser vos travaux scientifiques : l’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, présenté à Journée d’étude : « Les Digital Humanities : un renouvellement des questionnements et des pratiques scientifiques en SHS-ALL ? », Université Toulouse 2 - Le Mirail, 28 mai 2013. Consulté le 6 mai 2014. <http://www.canal-u.tv/video/universite_toulouse_ii_le_mirail/valoriser_vos_travaux_scientifiques_l_archive_ouverte_pluridisciplinaire_hal_francoise_gouzi.12987>
› Koh Adeline, « Crowdsourcing the Best Digital Humanities | Content: Introducing #DHThis, the Digital Humanities Slashdot », Blog, The Chronicle of Higher Education | ProfHacker, 10 septembre 2013. Consulté le 12 mai 2014. <http://chronicle.com/blogs/profhacker/crowdsourcing-the-best-digital-humanities-content/52135>
› Vinck Dominique, « Les transformations des sciences en régime numérique », Hermès, La Revue, vol. 57, no 2/2010, 1 août 2010, p. 35-41. Consulté le 12 mai 2014.
URI/Permalink: