Photographies ci-dessus : © Marc Heller, région Provence-Alpes-Côte d’Azur - Inventaire général.
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Frédéric Gendre | Comment es-tu venu à la photographie et comment es-tu passé de la photographie patrimoniale à la photographie artistique ?
Marc Heller | Je suis venu à la photographie comme beaucoup, très jeune, parce qu’on m’avait offert un petit instamatic, j’avais 12 ans. J’avais construit un igloo, avec des petites voitures, des jouets d’enfant, je faisais des scènes et je les photographiais. C’est le souvenir que j’en ai gardé.
Tu photographiais déjà de haut ?
Oui, c’est vrai. Il y avait des petits scénarios : une route, un éboulement, un tracteur venait enlever l’éboulement. Des situations. Et puis plus rien, pendant assez longtemps. J’ai essayé d’autres arts, la musique (la guitare classique – j’étais un très mauvais interprète), le théâtre... mais je ne trouvais pas un art qui me corresponde. J’ai repris la photo et j’ai décidé d’en faire mon métier. Être photographe, c’est avoir un regard particulier, je le décrirais comme ça : c’est imaginer en plan tout ce que l’on a devant soi. Il s’agit de rabattre en un seul plan ce que l’on a naturellement en trois dimensions. Si l’on prend le pli de voir à plat une réalité en volumes, on parvient à composer ses images, on a le regard photographique avant même de mettre l’oeil dans le viseur. Je dirais que l’on n’a pas besoin du viseur pour pouvoir imaginer la photographie. Ayant compris ça, je me suis remis à la photographie et j’ai commencé à travailler aux services patrimoniaux du Ministère de la culture.
Peux-tu expliquer la façon dont tu es passé du laboratoire du photographe aux services du patrimoine ?
J’étais chez un photographe professionnel qui travaillait avec l’édition, l’impression, l’industrie de l’image en somme. À l’époque, on travaillait à la chambre, il n’y avait que des professionnels pour utiliser ce genre de choses. Dans ce laboratoire, les photographies des enquêteurs des monuments historiques étaient tirées en trois exemplaires. La DRAC n’existait pas encore, bien évidemment ; Malraux avait créé en 1959 le Ministère de la culture, nous étions en 1969. Un des enquêteurs entre et annonce qu’un nouveau service se développe au Ministère, cela s’appelle « L’Inventaire général des monuments et des richesses artistiques de la France » (créé en 1962), composé d’historiens, d’archivistes, de dessinateurs et de photographes : il cherche des photographes. L’homme demande si l’on ne connaît personne dans le laboratoire qui serait volontaire.
À Aix-en-Provence ?
Oui, à Aix. J’ai dit « moi ». Et me voilà parti. Il y avait un bureau par région, me voilà à la région jadis appelée Provence-Côte d’Azur (elle englobait la Corse). J’ai donc commencé à travailler en 1969 au Ministère de la culture sur l’étude du patrimoine français, le patrimoine vernaculaire, le patrimoine n’étant pas considéré comme « grand patrimoine » comme le sont les musées, les monuments nationaux, les monuments classés et protégés. D’abord parce que ceux-là sont déjà assez bien étudiés et parce que nous ne travaillions pas par thèmes, mais par lieux géographiques. On prenait un canton, un village, on y entrait, on y voyait absolument tout.
Tout, c’est à dire les rues, les maisons, dehors, dedans, vous en faisiez l’inventaire en somme ?
Dans la mesure évidemment où les gens nous permettaient d’entrer chez eux, oui. En général, les habitants comprenaient parfaitement notre travail et ils nous laissaient entrer. On étudiait les églises, les fontaines, les lavoirs, les moulins, les chapelles, les termes, tout ce qui représente le patrimoine quotidien, les outils de travail également, les services à vaisselle parfois. On en faisait des livres, des brochures. C’est ce travail par thèmes qui m’a amené à photographier les arènes de taureaux en Provence (il n’y a pas qu’Arles ou Fréjus, il y en a une trentaine dans les villages). Donc la semaine, je faisais mon travail d’inventaire sur l’architecture de ces arènes, et le dimanche j’y allais parce qu’on y vivait. Il y avait aussi bien des corridas que des taureau-piscine. Je photographiais cette vie pour le dossier patrimonial, pour que la vision soit complète. Le patrimoine se comprend par rapport aux usages et à la vie, naturellement. On y reviendra. De cette façon toujours thématique, nous avons étudié le système coopératif en Provence. Les silos à blé, les coopératives céréalières, les coopératives vinicoles, oléicoles, les coopératives de châtaignes (il y en avait deux), et toute l’architecture qui est liée à ces activités, très datée « début de siècle ».
Concrètement, comment cela se passe-t-il ? Le photographe est accompagné d’un historien ? Comment le terrain est-il préparé ?
Il y a d’abord un historien qui vient sur le terrain (...)
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