Le genre de la filiation : un oubli qui prive de penser le lien entre filiation et engendrement
Irène Théry
Lorsqu'on débat de la filiation dans la société contemporaine, on a tendance à oublier la dimension du genre. Pourtant, filiation maternelle et filiation paternelle ne sont pas semblables en droit. En référence à la nature, l'opposition entre le père «incertain» et la mère «toujours certaine» a justifié pendant des siècles des modalités d'établissement du lien de filiation fondamentalement différentes pour les hommes et les femmes. On montrera d'une part que ces différences n'avaient pas pour enjeu de respecter la nature, mais bien d'organiser, à partir d'elle, un certain ordre sexuel: un ordre sexuel matrimonial, hiérarchique entre les sexes, fondé sur une double morale, masculine et féminine, et deux rapports radicalement différents, tant à la vérité de la procréation qu'à l'expression de la volonté.
Revenir sur cet ordre hiérarchique ancien permettra d'interroger les évolutions actuelles. Allons-nous vers une abolition des différences entre les deux filiations ? Pourquoi aujourd'hui, le rapport entre filiation et engendrement est-il devenu un impensé du débat social ? L'opposition omniprésente entre le parent dit «biologique» et le parent dit «social» a-t-elle un sens ? Et sinon, par quoi la remplacer ?
I.T.
Enseignante, puis chercheur au CNRS, Irène Théry est depuis 1997 directrice d'études à l'EHESS. En 2001, elle a rejoint le centre Sociologie, histoire et anthropologie des dynamiques culturelles (SHADYC Marseille), devenu en janvier 2010 Centre Norbert Elias.
Spécialisée dans la sociologie du droit, de la famille et de la vie privée, elle travaille sur les transformations contemporaines des liens entre les sexes et les générations. Elle a publié plusieurs ouvrages sur les mutations du droit de la famille, sur les familles recomposées et sur les rapports de genre.
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